ECOUTE ET MALADIE D'ALZHEIMER

21 février 2024 par
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Alors que je venais d’arriver dans une maison de retraite pour un remplacement d’infirmière, j’entends, au moment des transmissions, toute l’équipe évoquer une situation. Il s’agissait d’une dame, qui avait une maladie d’Alzheimer, qui, à part ses problèmes de mémoire récente ne posait pas de problèmes particuliers. Or, depuis, plusieurs jours, les aides soignantes et infirmières constataient que cette dame, appelons-la Mme X, ne voulait plus s’habiller ni descendre en salle à manger. Dès que les soignants la sollicitaient et l’habillaient, et éventuellement la descendaient en salle à manger (au nom du lien social…), Mme X retournait à sa chambre , se déshabillait et retournait dans son lit. Aucun argument n’était assez convaincant pour la faire changer d’attitude.

En passant dans sa chambre, le matin, pour distribuer les médicaments, je constate qu’elle « se vit » pendant la guerre 39-45. Elle me demande si on bombarde encore sur la ville où nous étions….J’en conclus qu’elle est en plein « plongeon rétrograde ». Cela veut dire que, pour elle, à ce jour, nous sommes en pleine guerre mondiale.

Formée à l’écoute (selon l’approche centrée sur la personne = approche de Carl Rogers), je l’écoute sans lui poser de questions. Je suis, tout simplement, en empathie avec elle… Au bout d’un petit moment, (c’était, je crois, le 2ème ou 3ème jour de ma présence dans cet établissement), elle me dit : « j’ai un secret de famille, mais je ne vous le dirai pas ! » . Je lui réponds que je n’attends rien et continue mon attitude rassurante et empathique. Les jours suivants, passant à nouveau pour la distribution des médicaments et des petits soins, elle me redit : « j’ai un secret de famille, mais je ne vous le dirai pas ! ». Bien sûr, je lui redis que je ne lui demande rien.

A ma grande surprise, au bout de plusieurs jours, elle me dit : « J’ai un secret de famille. Je vais vous le dire ». Et là, elle me dit, triste et en colère : « ma sœur qui travaille au gouvernement, elle avait une bonne place…. vous savez ce qu’elle a fait : elle a détourné de l’argent, elle a fait la une des journaux, c’est la honte de la famille…. et ma mère qui veut que je porte ses vêtements !!!!! »

Par mon attitude, je « valide » ce qu’elle dit : je l’écoute, sans jugement, je suis en empathie avec elle…..

Le lendemain, lors des transmissions, les aides-soignantes annoncent que Mme X s’est habillée toute seule et est allée en salle à manger. Les jours et les semaines suivantes, il n’y a plus eu de problèmes de ce type.

Bien sûr, elle avait encore sa maladie d’Alzheimer et a pu avoir des comportements « apparentés » dans les mois ou années suivantes. Je faisais un remplacement de 2 mois et ne peut parler de cela.

Cependant, voyons, comment, par notre attitude de soignant, nous pouvons désamorcer des souffrances. Car cette dame était en souffrance : elle revivait la souffrance vécue pendant la guerre, lorsque l’événement s’est passé. Pour elle, cela se passait ce jour-là. Je suis convaincue qu’en se libérant de son fardeau c’est à dire en confiant son secret, elle a été soulagée au point de pouvoir « revenir à aujourd’hui » et d’accepter les vêtements de sa penderie (ne les confondant plus avec ceux de sa sœur à l’époque!)

L’écoute VERITABLE est rarement innée. J’en conclus que la formation à l’écoute est très importante pour les soignants ainsi que pour les aidant familiaux. Mon expérience m’a appris que cela peut, tous, nous aider d’ailleurs.


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